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Exquisite Confession
30 juin 2017

Hélène

    Cet été là j’étais pas bien grande. C’était le premier été après la coupe courte forcée par la mère. Elle avait décidé, du jour au lendemain, que les longs cheveux noirs qui touchaient mes maigres fesses me donnaient « un air triste ». Air que j’arborais pourtant depuis plusieurs années sans souci aucun, mais qui, du jour au lendemain, lui était devenu insupportable. Air, et cheveux, que j’avais mis longtemps à cultiver et dont je n’étais pas peu fière. Air qui m’a été arraché sans possibilité de riposter.

    J’étais pas bien grande donc, au figuré, diminuée. Au sens propre j’avais grandi tellement vite que si les formes du genre que la nature avait choisi pour moi avaient commencé à poindre , elles s’étaient étirées tellement vite qu’on ne voyait plus qu’un immense coton tige filiforme aux cheveux courts noirs encadrant péniblement un visage qui s’excusait.

    Les parents avaient réservé quelques temps dans un village vacances, qu’on soit occupées en journée, la sœur et moi. Qu’on s’éloigne un peu, comme aussi souvent que possible du port terminus où on grandissait le reste de l’année.

    L’appartement de vacances était microscopique comparé à la maison du port, un parmi les dizaines de dizaines d’appartements similaires dans les corridors sans fin, c’était presque comme jouer à une autre vie. Réinventer les choses, ne pas être celle qui ne me plaisait pas dans le quotidien. Autour, ici, ils savaient pas. À l’intérieur de cet espace qu’on avait emprunté on avait pas le droit d’utiliser la serviette de douche de la mère. On avait demandé pourquoi dix fois avant qu’elle daigne répondre « parce que j’ai mes règles ».
   J’étais moi-même entrée dans ce groupe d’adultes sanguinolentes depuis un an, mais je m’étais bien gardée d’en avertir qui que ce soit. Je savais que c’était une conversation qui mettrait la mère mal à l’aise. Alors j’avais rien dit. Là non plus. J’ai juste regardé fixement sa serviette, pour être sure de ne pas me tromper. Pas envie de m’essuyer le visage avec ça.
   Lors de ce séjour on avait des activités en famille, et d’autres entre progénitures. En famille on avait été pas très loin du faux village, dans une aire de jeux, on pouvait faire un espèce de parcours de toboggans en plein air, des toboggans de grands, où tu cries car ça dure sur des mètres, et où le père agit comme l’enfant qu’il n’a jamais pu être dans sa ferme. Entre deux descentes et des cris, des rires, j’ai vu ce garçon. Simon. Il est un peu plus grand que moi, il est encore plus fin que moi, ses cheveux plus noirs. Il a l’air triste que la coupe de mes longs cheveux n’a pas su m’effacer. J’l’ai pas vraiment « vu » à proprement parler, je l’ai reconnu. Il était avec nous au Sénégal quelques mois plus tôt, avec sa petite sœur, qui portait le même prénom que moi, et ses parents dont je n’avais gardé aucun souvenir. Incroyable. Sûre de mon coup je vais prévenir les miens, que cette famille qui glisse à côté de nous, est celle la même qui s’extasiait devant les animaux lors de notre « petit safari » au Sénégal dans le mini car. La mère ne me croit pas, mais j’en suis certaine. La sœur est à côté, le père aussi. Personne ne les reconnait, car personne n’avait « vu » Simon, dans ce mini car comme moi je l’avais vu. Simon c’est le premier garçon qui m’a fait prendre conscience de la part d’hétérosexualité en moi, et de cette évolution douce vers la mini femelle.
    On s’est tous les quatre avancé, et la mère a été leur parler, « Ma fille pense que vous étiez au Sénégal avec nous il y a quelques mois », ils discutent de nom d’hôtel, de visites, et oui. Ils y étaient bien, en même temps.
« C’est incroyable que votre fille nous ait reconnu » a t elle dit en posant son regard amusé sur ma sœur.

    Les journées ou j’étais en « activités », dans un groupe de petits adultes en cours de transformation, j’ai rencontré deux filles, j’ai beau creuser dans les méandres de mon cerveau, impossible de retrouver leurs prénoms, mais j’ai “Hélène” qui me vient en tête, alors j’vais dire Hélène, pis son amie.
    Dans mes souvenirs elles étaient plus âgées que moi, d’au moins un an, si ce n’est deux, du moins c’est comme ça que je m’en rappelle. Peut être qu’elles étaient plus jeunes, mais que comme on m’empêchait de grandir, je me les souviens plus vieilles, car nettement plus femmes.

   Pendant que les parents et la sœur faisaient sûrement des choses d’adultes et de plus petits, j’étais pas mal fourrée avec Hélène et son amie. On faisait rien de bien rare, on discutait dans le microscopique appartement temporaire de l’une d’elles, certainement que leurs adultes aussi étaient en train de savourer, un instant, une vie sans progéniture.
  J’ai un souvenir, gravé dans le marbre, d’Hélène, en train de mettre son vernis, p’tete qu’il y avait une « boom » à venir et qu’il fallait être belle, ou p’tete juste qu’elle voulait toujours être vernie. J’crois bien qu’elle voulait toujours être vernie. J’me souviens vaguement de ses longs cheveux, et du victorieux trait de crayon noir sur ses yeux. J’en étais dépourvue. Mais elles m’aimaient bien quand même, dans mes shorts de garçons mes t-shirts pourtant pas amples mais qui ne dévoilaient pas la moindre courbe.
   Avec beaucoup de douceur, elle m’a regardé essayer de mettre du vernis, son vernis, sur mes orteils, ma mère m’avait pas vraiment appris, elle était surprise de ma technique et a demandé à son amie d’appuyer ses propos et son savoir :
« C’est marrant comme tu le mets, on fait le contraire, on met toujours de haut en bas nous, pas de gauche à droite ! ».
Alors je me suis exécutée, en m’imprégnant de son geste sûr.
   Hélène n’avait qu’une main.
Son bras droit n’était qu’un trois quart de bras. Il se finissait d’un coup sec, quelques centimètres après le coude. Je crois qu’elle m’a expliqué pourquoi. L’explication n’importait pas vraiment, alors je ne l’ai pas retenue.
Du haut de mes 13 ans, je ne me souviens pas d’avoir été gênée par cette différence, le souvenir c’est l’admiration que j’ai ressenti en voyant Hélène appliquer sans erreur aucune son vernis rose sur les ongles de son unique main en coinçant le manche du tube de vernis dans le coude de son plus petit bras.
A cette époque où la mère essayait de faire trainer cette période qu’est l’enfance pour ne pas me voir entrer dans l’adolescence, j’me souviens avoir envié Hélène, pour son assurance en dépit de sa différence, pour son autonomie, pour sa dextérité à devenir une petite femme, sûre d’elle, douce, fière, sans honte. Pour sa liberté.

J’ai correspondu avec Hélène et son amie quelques temps, puis les lettres se sont raréfiées, et enfin ont cessées.

Peut être que si je fouille dans mes boites de correspondance de petite, je retrouverais des lettres d’Hélène, et je pourrais la retrouver. J’dirais pas que je pense à elle à chaque fois que je mets du vernis, mais ses conseils me reviennent souvent, sa surprise face à mon absence de savoir, le ton détaché avec lequel sans le savoir, elle m’a certainement donné ma première leçon pour aller vers la femme.

Certainement qu’elle se souvient pas de moi.

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Commentaires
B
Bjr , on oublie jamais les personnes à qui on a pu aider ... courage ..
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